Vigiles de mémoire

Ce livre analyse d'abord les modes de transmission et d'énonciation de la mémoire dans la littérature contemporaine, principalement à l'intérieur de récits qui s'interrogent (sur le fond autant que sur la forme) sur l'appréhension du temps dans ses dimensions présentes, passées et à venir. Il y paraît essentiel de voir l'esthétique et l'éthique comme deux faces d'une même pièce, deux dimensions inséparables et inépuisables de l'oeuvre, lien le mieux manifesté à l'intérieur de textes qui interrogent leur propre statut d'oeuvre. Par adhésion ou par rejet, l'oeuvre se positionne à l'égard du monde dans lequel elle est amenée à s'inscrire, un monde au présent qui hérite de la masse des événements et constructions du passé. Aussi s'agit-il de voir comment la mémoire, dans ses manifestations discursives, peut constituer une voie d'accès privilégiée à la façon dont pense le texte littéraire (ici : Dora Bruder de Patrick Modiano ; Les années d'Annie Ernaux ; et L'Africain et Onitsha de J.M.G. Le Clézio). Ces oeuvres déploient des discours conscients de leurs propres limites, discours devant néanmoins rendre compte d'une pluralité d'expériences (ce qu'on pourrait associer à une posture d'écrivain influencée par la sensibilité et les expériences qui l'entourent). Ces oeuvres interrogent ainsi les paradoxes du langage et de l'expérience. D'où le concept inédit de maldicible développé pour rendre compte de la complexité d'un langage qui se veut un véhicule de transmission des expériences et un objet d'expériences lui-même. Appliqué entre autres aux questions d'identité, d'altérité, d'éthique du témoignage, d'inscription sociale et de conscience historique, le concept de maldicible s'est révélé des plus judicieux pour analyser et mettre en valeur les façons dont les textes étudiés pensent et offrent à penser.